Communiqué de presse écrit pour l'exposition Mezzo Forte de Tania Mouraud à la galerie Ceysson & Bénétière de Luxembourg.

https://www.ceyssonbenetiere.com/fr/exhibitions/tania-mouraud-wandhaff-2021-1172/


C’est une exposition en crescendo, qui chante jusqu’à crier.

Plongée dans l’œuvre immense de Tania Mouraud, Mezzo Forte met en lien différents
temps forts de la recherche de l’artiste. Des pièces historiques (Where is the unknown,
People call me Tania Mouraud, les séries Black Continent et Words) côtoient des travaux
réalisés tout au long des quinze dernières années (parmi lesquels Ad Infinitum, les séries
Mots-Mêlés, Shmues, Balafres, Nostalgia, Saudade).
Des écritures se déploient. Depuis les années 1960, elles interrogent la plasticité du
langage et le rapport entretenu entre perception et lecture. Elles introduisent le
questionnement profondément éthique qu’est celui du point de vue et de la
représentation chez l’artiste. À la source de ces lignes qui se dessinent et qui se peignent,
se trouvent des poèmes, des haïkus, des citations, des opéras, des lieds, des chants qui
dialoguent et dont Tania Mouraud se réapproprie les textes. Ils sont écrits en yiddish,
hindi, chinois, anglais, allemand. Leurs typographies, cursives ou d’imprimerie, sont
déformées, reformées, re-modelées en marge des canons picturaux traditionnels.
En apparaissent les contreformes dans les séries Black Continent et Words, renversant
nos habitudes de perception. Les mots de Gandhi, plus loin, se brisent dans le miroir de
WDYCYE? (« Why do you close your eyes? »). Les phrases s’étirent à échelle
d’architecture avec les Wallpaintings, jusqu’aux frontières de l’espace et du lisible,
exigeant de chacune un temps d’arrêt pour être déchiffrées. Elles deviennent avec les
Mots-Mêlés des labyrinthes construits par un programme informatique, transformées en
code comme langage international. Les bas-reliefs de la série Shmues (« conversations »
en yiddish), font se détacher de la surface des murs des bribes d’une langue assassinée,
qui surgissent comme des réminiscences. Se croisent et se mêlent les époques, les
alphabets, les idiomes, les signes et les voix.
Plus loin des photographies contemplent avec mélancolie l’état d’un monde abîmé par le
temps ou par l’humanité. Là, le vivant bouleversé se décompose, se métamorphose,
surgit, et les médiums s’entrelacent. Un paysage lacéré par des extractions minières, telle
une chair parcourue de cicatrices, révèle des strates colorées semblables à des couches
de peinture (Balafres). Des tournesols fanés se découpent à contre-jour sur un ciel
nuageux à la manière des silhouettes d’un théâtre d’ombres (Saudade). Les
photographies argentiques d’une nature altérée par l’intervention humaine, prises dans
les années 1970 et retravaillées numériquement en 2020, donnent à voir le grain qui
envahit l’image, évoquant l’esthétique de gravures anciennes. Les stèles éparses et
anonymes d’un cimetière juif roumain semblent tressaillir dans le mouvement qu’induit le
vidéogramme (IASI). Hors d’une épaisse couche de neige en Russie, quelques herbes
tracent des signes dans un paysage immaculé tels de subtils coups de crayon sur une
feuille (Emergence), tandis que des pneus viennent corrompre un relief qu’ils épousent, se
dispersant comme des notes sur la portée d’une partition (Invaders). Des vues enneigées
inspirées du film d’Eisenstein, Alexandre Nevski, que composent des horizons, évoquent
des peintures minimales abstraites.
Ces scènes sublimes proposent un moment d’arrêt et de contemplation. Face à elles,
l’esprit humain est dépossédé de son emprise sur un environnement qu’il croit dominer.
Ad Infinitum, en renvoyant à une locution qui en musique indique des mesures que l’on
pourrait répéter à l’infini, évoque un temps méditatif et affirme un optimisme serein, sans
faille. Tania Mouraud oppose à la peur d’un avenir incertain la beauté d’un monde
résilient. Ses œuvres sont des yeux grands ouverts, émerveillés et lucides. Elles invitent à
voir plus loin, autrement, à se révolter, à résister aux forces qui détruisent et sèment la
mort. La vie toujours ici trouve un chemin, que l’artiste offre à voir.
Cécile Renoult, 2021 

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